Je n’ai aucune idée de ce que signifient les dates inscrites sur ce morceau de papier, mais je me souviens très bien du moment où je les ai écrites. En juin 2003, il y avait beaucoup de soleil. La rue était pleine de musique et d’espoirs – ou alors s’agissait-il plutôt d’attentes ? Il faisait très chaud, on ne faisait qu’un avec l’air de la ville, comme si l’on en était une composante chimique. La nuit, on dormait les fenêtres ouvertes. Eugen avait cassé son énième vélo et Peppe lui avait prêté le sien – qu’il avait, lui-même, volé à un avocat. Il s’agissait d’un superbe vélo. Noir, avec des baguettes de frein et une selle en cuir, un prince des bicyclettes – surtout comparé aux vélos des étudiants, qui tombaient en morceaux, rouillés et mal entretenus. Avec ce magnifique exemplaire de vélocipède, Eugen aurait dû aller travailler au chantier, à vingt kilomètres de Pise. Mais cela n’avait pas de sens : il pédalait dans la ville, oisif, et saluait, courtois. Le vélo changeait son statut.