Eugen regardait avec les mêmes yeux enchantés le mouvement de la robe d’une fille qu’il savait ne jamais pouvoir avoir. Conscient du fait qu’il était dans un monde parallèle – immigré clandestin – il n’essayait pas de la courtiser, mais il ne renonçait pas à lui lancer une phrase qui sonnait comme un refrain rock dans sa bouche : « T’es meeeeerveilleuse c’soir ! » Ces sons n’avaient en réalité pas d’adresse, ils étaient destinés au cosmos, comme une prière païenne ou le hurlement d’un animal. Eugen était plus sensible à ce qu’il pouvait y avoir d’enchantant autour de lui que la plupart d’entre nous, doctorants en littérature, philosophie, art, préoccupés par notre avenir et notre emploi du temps. Il pouvait être extrêmement heureux pour un rien, il arrivait parfois à voir des choses cachées pour tous les autres. Ce n’était pas parce qu’il était dans une condition tragique : c’était malgré le fait qu’il soit dans cette situation. C’était un poète, c’est cela qui rendait sa vie poétique.