J’ai toujours rêvé de pouvoir formaliser le monde, de le réduire à une série de formules mathématiques, claires, évidentes, simples. La compréhension de ce qui ce passe serait absolue et sans possibilité d’erreur. Tout serait étalé devant moi, il ne resterait qu’à calculer, résoudre les équations, sans se poser d’autres questions. Pas de problèmes de sens, d’interprétation, pas de doutes, pas de versions différentes parmi lesquelles choisir, pas de positions à prendre, pas de points de vue à défendre. Pour cette raison, j’ai longtemps hésité, quand il a fallu choisir une discipline philosophique pour mon diplôme, entre la logique et l’herméneutique, la logique étant plus rassurante. Jusqu’à ce qu’un jour, pendant une présentation de projets de doctorat où une amie logicienne remplissait le tableau de ses formules, un de nos professeurs la regarda ahuri, les mains dans les cheveux : « Tabet, t’as peut-être pas compris, mais ici nous ne sommes pas dans un département de mathématiques ! »