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Prénoms

Mon pays, ma langue, mes origines… tout cela n’a commencé à me parler que quand je suis parti. Être italien en Italie n’a aucun intérêt. Avoir un accent est sans doute le meilleur moyen pour produire sa propre identité – un peu comme le caffè al vetro –, pour être quelqu’un, pour se faire reconnaître – et surtout pour se reconnaître soi-même. Regarder de loin ce qui se passe là-bas, chez moi, sans ne jamais vraiment être chez moi. Ce qui me caractérise le plus devient donc ce que je n’ai pas, ce que je ne suis pas. Quand je suis en Italie, je me sens étranger. Quand je suis en France, je suis étranger. Ici, au Québec, je suis doublement étranger – italien ou français, et finalement ni l’un ni l’autre. Mon prénom lui-même est impossible à prononcer dans une autre langue que l’italien : il doit être déformé. Alors chacun le détourne à sa guise, prononçant le c comme cela lui chante, le r comme il peut. Et chaque fois que H. dit mon prénom, je me sens le protagoniste d’un film de Fellini.

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