Les problèmes économiques de ses boss étaient toujours pris très au sérieux par Eugen qui nous en parlait avec un air affligé. « Il a de gros problèmes économiques ». Cela voulait dire que c’était Peppe ou moi qui devions payer le loyer – après qu’Eugen ait laissé sa colocation d’immigrés clandestins et soit venu habiter d’abord avec Peppe puis avec moi, ce qui arriva un peu par hasard, un peu par chance, un peu par disgrâce. Malheureusement, il m’est impossible aujourd’hui de décider si c’était plutôt par hasard, par chance ou par disgrâce : toute l’histoire d’Eugen – et maintenant que j’essaie de la raconter, je m’en rends encore mieux compte – n’a aucun sens. Elle n’est tout simplement pas crédible. En premier, son geste d’amour n’est pas vraisemblable, son départ, sa vie en Italie, ses plans. Et lui en tant que personnage, trop mal dessiné, incohérent, héroïque et lâche en même temps, drôle et tragique, conservateur, réactionnaire et anarchiste. La vérité a toujours très mal payé.