Plus ou moins bien, Eugen s’en sortait à Pise. Quand il avait finalement quitté Livourne et abandonné (ou du moins mis entre parenthèses) l’idée de se cacher dans un cargo, il avait fini par trouver un groupe d’immigrés clandestins comme lui – qu’il méprisait profondément : « ces immigrés de merde » les appelait-il – qui lui avaient proposé un lieu où vivre et du travail au black. Il vivait dans une espèce de cabane, dans la campagne pisane, avec une trentaine d’autres personnes. Le matin, vers cinq heures, il se rendait dans un endroit où les patrons allaient chercher de la main-d’œuvre quand ils en avaient besoin. Un jour sur trois il arrivait à travailler. La paie promise était de quarante ou cinquante euros la journée. Souvent, cela restait une promesse. « Je vais te payer demain, j’ai besoin de toi demain aussi. » « Oui, mais moi je voudrais manger aujourd’hui, boss ! » « N’exagère pas… tu vas bien trouver quelque chose à manger. Moi, j’ai des problèmes économiques aujourd’hui. »