Il paraît qu’un jour Wittgenstein entra dans le bureau de Russel – qui ne le connaissait absolument pas – en lui demandant : « Selon vous, suis-je un génie ou un imbécile ? ». Je ne sais pas qui m’a raconté cette histoire ni quelle en est la source, mais je trouve cette question très pertinente. Car, en effet, il n’y a qu’une différence très subtile entre le génie et l’imbécile – s’il y en a une – et elle est très difficile – ou peut-être impossible – à déterminer. Cette question, absolument insoluble, peut devenir assez obsédante. Ai posteri l’ardua sentenza, aurait répondu notre romancier national. Sauf que – et Wittgenstein devait bien le savoir – attendre la postérité pour avoir une réponse ne satisfait pas vraiment le pauvre type qui se pose la question : il veut être rassuré immédiatement. Russel était conscient de tous ces problèmes. Sa solution fut brillante : mieux vaut laisser croire à un imbécile qu’il est un génie, que risquer de priver le monde d’un génie. Il avait raison.