Parfois, je prêtais une chemise à Eugen – il ne rentrait pas dans celles de Peppe – et nous sortions ensemble. C’était, il le croyait du moins, des sorties drague. Le déodorant abondait – excédait. Nous nous mettions au comptoir d’un bar et commandions des verres de grappa. Il n’y a rien de plus agréable pour se brûler la gueule. Ou - devrais-je dire - pour s’enivrer, car la grappa, si elle est de bonne qualité, monte à la tête doucement, délicatement. Elle ne brûle pas, elle ouate tout, affaiblit le monde autour, le rend plus souple, plus malléable, le conforme à nos désirs. Boire de la grappa est la meilleure façon pour renvoyer toute action à un temps indéterminément loin. Les silhouettes des jolies filles qu’Eugen aurait dû courtiser se fondaient parfaitement dans ce décor silencieux et paisible que nous regardions. Il n’y avait pas besoin d’autres choses, pas besoin de faire quoi que ce soit, aucune raison de lutter, de s’expliquer, de se justifier : tout était bien comme c’était.