Je m’aperçois que toute ma rage, toute ma fureur, est en train de se calmer. Depuis mon départ définitif de Pise, depuis que j’ai quitté l’Italie, et encore plus maintenant, ici, au Canada. Je suis loin, tout me semble ouaté, faible. Je suis désormais dans une institution, j’en fais partie, et le fait d’accrocher au mur une affiche de Radio Libertaire - avec une belle bombe ronde sur fond rouge - ne suffit certes pas à raviver ma ferveur politique. Par ailleurs, peut-être que cette écriture, ces navigations, ces flâneries, ne sont qu’une manière de me défouler pour éteindre les dernières flammes, étouffer les dernières braises. Le mari de la soeur d’Eugen était kinésithérapeute. Il nous proposa de nous faire des massages en échange des cinquante euros dont ils avaient besoin pour acheter les billets. Bien relaxés, après un massage et un dernier repas riche et arrosé, nous accompagnâmes le couple à la gare. Eugen, en regardant le train partir, avait une moue de dégoût : « God damned ! »